Il faut légaliser le commerce du cannabis

Par MICHEL HENRY Journaliste à Libération
Plutôt que d’appeler l’armée à la rescousse dans les quartiers marseillais (comme l’a fait Samia Ghali, sénatrice PS) ou de proposer de «pénaliser les clients» venant acheter leur cannabis dans les cités (comme le suggère Patrick Mennucci, député PS), il est temps de comprendre que la série de règlements de comptes en cours à Marseille n’a qu’une cause : la prohibition qui frappe le commerce du cannabis. Cette interdiction crée une économie parallèle juteuse dont les acteurs sont prêts à s’entre-tuer pour tout différend d’ordre commercial ou querelle de territoire.
La guerre des autorités contre ce marché noir, qui revient à vider la mer à la petite cuillère, est perdue depuis longtemps : sachant que la France compte 1,2 million de consommateurs réguliers de cannabis (et 4 millions si on inclut les fumeurs occasionnels), il faudrait embaucher des centaines de milliers de policiers et de gendarmes pour les empêcher d’accéder au produit. Que faire alors ?
Certaines drogues sont légales - alcool, tabac - d’autres non, sans raison objective. Des personnes fort sensées, comme l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, proposent d’expérimenter un marché régulé du cannabis. Nulle trace d’idéologie dans cette initiative : juste du pragmatisme. Celui qui fait que les Pays-Bas vivent depuis plus de trente-cinq ans avec un système semi-légal, certes contesté aujourd’hui par une partie du personnel politique, mais qui a permis de sortir du marché noir la moitié des transactions.
L’Uruguay veut aller plus loin et discute actuellement d’un projet de loi pour autoriser production et vente de cannabis sous contrôle de l’Etat.«Nous pensons que l’attitude répressive de l’Etat génère et alimente quelque chose de pire que la drogue», a expliqué le président José Mujica à l’AFP, en référence à l’apparition de règlements de comptes dans son pays… Comme en France.
L’ennui, c’est que la prohibition n’a qu’un bénéficiaire, le trafiquant. La supprimer, c’est lui couper l’herbe sous le pied. C’est pourquoi dans les années 30, les Etats-Unis d’Amérique ont mis fin à la prohibition de l’alcool qui créait plus de problèmes qu’elle n’en réglait. On en est au même point sur le cannabis aujourd’hui.
Expérimenter un marché régulé, avec des règles strictes (pas de vente aux mineurs, pas de publicité) ne signifierait pas baisser les bras ou faire preuve de laxisme : au contraire, il permettrait de mettre en place une prévention digne de ce nom dont la France est toujours privée.
On peut regretter de devoir légaliser un commerce du cannabis et craindre qu’il provoque une augmentation de la consommation. Mais si l’expérimentation s’avère négative, on peut l’abandonner.
Il n’y a pas de système miracle pour gérer le fait que l’être humain a toujours eu recours à des drogues pour son plaisir d’abord. En attendant, la prohibition fait chaque jour la preuve de son échec, et le fera à nouveau au prochain règlement de comptes.

Source:Liberation

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