Histoire du cannabis : Néolithique et Antiquité

Le chanvre est une des premières plantes domestiquées par l'homme, au Néolithique, probablement en Asie. Il a ensuite accompagné migrations et conquêtes pour se répandre sur tous les continents.


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Hanfeinlegen (immersion du chanvre), huile de Théodore von Hörmann, peintre autrichien du xixe siècle.

L'origine géographique du chanvre n'est pas certaine : plaines de l'Asie centrale dans le secteur du lac Baïkal pour certains, région moyenne du fleuve Jaune en Chine pour d'autres, ou encore contreforts indiens de l'Himalaya. Les plus anciennes traces archéologiques de son utilisation par l'homme ont été retrouvées en Chine, dans l'un des foyers de la révolution agricole néolithique. Les fouilles du site néolithique de Xianrendong (dans le Jiangxi), daté de 8000 av. J.-C. ont ainsi livré de la céramique, certainspots décorés de fibres spiralées de chanvre1. Il s'agirait donc d'une des premières plantes domestiquées par l'homme, probablement tout à la fois pour ses fibres solides, ses graines oléagineuses nourrissantes et les propriétés médicinales de sa résine . 



La plus ancienne tradition d'un usage médical du cannabis semble également chinoise : la plante fait partie des trois cent soixante-cinq remèdes d'origine végétale décrits dans le plus vieux traité de pharmacopée de l'humanité retrouvé à ce jour. Le Shen nung pen Ts'ao king (Traité des plantes médicinales de l'empereur Shen Nung), 2737 av. J.-C. ne donne pas d'indication thérapeutique précise, du moins dans sa version originelle : antalgiqueanti-émétiquelaxatif, etc. Il est amusant de noter que c'est à ce même empereurShen Nung que la légende attribue la découverte d'une autre plante psychotrope dont l'usage est aujourd'hui répandu sur tous les continents, le thé3.
En Égypte antique, on trouve également une trace écrite de l'utilisation médicinale du chanvre. Ainsi le papyrus Ebers (rédigé 1500 ans av. J.-C.) mentionne l'utilisation d'huile de chènevis4 pour soigner les inflammations vaginales (formule n°821, p.96, lignes 7-8).
Le cannabis était bien connu des Scythes, si l'on en croit l'historien grec Hérodote5 (450 av. J.-C.), qui décrit une séance de fumigation collective entraînant l'hilarité des participants. Le professeur Serguei Ivanovich Rudenko, archéologue russe, a confirmé l'utilisation courante du cannabis par les Scythes avec la découverte en 1929 sur le site de Pazyryk d'un chaudron de bronze rempli de graines de chanvre carbonisées, ainsi que des vêtements de chanvre et des encensoirs métalliques6. Ces peuplades nomades, qui ne pratiquaient pas l'agriculture, ont probablement joué un rôle dans la diffusion du chanvre, à travers leurs migrations dans les steppes eurasiennes. Le chanvre est en effet une plante rudérale, qui colonise les habitats anthropisés (perturbés par l'homme). Elle est écologiquement adaptée aux milieux ouverts (donc ensoleillés), aux sols riches en azote (à cause des déjections des troupeaux), caractéristiques des abords de campements7.
Depuis l’Antiquité, les peuples germaniques cultivaient également le chanvre, au moins pour ses fibres — utilisées pour la fabrication de vêtements et de cordes pour les bateaux. Ainsi, à Eisenberg dans le Thuringe, des fouilles archéologiques ont mis au jour des semis de chanvre à côté de poteries datant de 5500 av. J.-C. La découverte de la plus ancienne pipe du monde dans des tombeaux datant de l'âge de bronze (1500 av. J.-C.), à Bad Abbach (Bavière) tend à prouver que l'absorption de psychotropes sous forme de fumée inhalée en Europe est bien antérieure à la découverte du Nouveau Monde8. Cela ne suffit pas pour autant à affirmer que le cannabis était fumé par les anciens Germains. On sait en revanche que, avant la promulgation de la « loi de pureté » Reinheitsgebot, en1516, influencée par les prescriptions de la moniale Hildegarde de Bingen - qui s'était entichée du houblon - nombreuses étaient les plantes aromatiques et psychotropes qui servaient à renforcer le goût et les effets des bières de l'Antiquité et du Moyen Âge, et à en améliorer la durée de conservation. Le cannabis a de fortes chances d'en avoir fait partie, aux côtés d'autres plantes « magiques » locales : achillée millefeuilleivraie enivrante, myrte des marais, lédon des marais, marjolaine, trèfle d'eau, armoise, germandrée, genêt à balaisjusquiame, sauge des bois… 9
Dans l'Empire romain, on retrouve la trace du chanvre dans plusieurs écrits, comme ceux de Pline l'Ancien. Celui-ci y consacre un paragraphe dans son Histoire naturelle (livre XIX traitant de la culture du lin et de l'horticulture)10 où il donne de précieux conseils en matière de choix variétal, date de semis, de récolte, etc. Dioscoride évoque pour sa part le chanvre « qui fait venir au-devant des yeux des fantômes et illusions plaisantes et agréables. », tandis que Galien met en garde11 contre cette plante : « Certains mangent les graines frites avec des sucreries. J’appelle sucrerie les nourritures servies au dessert pour inciter à boire. Les graines apportent une sensation de chaleur et si consommées en grandes quantités, affectent la tête en lui envoyant des vapeurs chaudes et toxiques ». Au iie siècle, les Romains vont introduire la culture du chanvre en Gaule avec celle du seigle, de la gesse et de la vesce. La fouille archéologique de la villa de Saint-Romain de Jalionas (Isère) met ainsi à jour plusieurs aires de rouissage du chanvre. Le plant de chanvre doit en effet subir une décomposition partielle afin que le ciment pectique et les fibres ligneuses se désolidarisent des fibres de cellulose. L'immersion des pieds dans l'eau permet d'accélérer ce processus. D'autres découvertes archéologiques, aussi bien dans la région de Marseille12 que dans le Sud-Ouest13 (site de Al Poux dans le Lot) laissent cependant supposer que le chanvre était cultivé et utilisé en Gaule bien avant la romanisation.
En Chine, l'époque des Han occidentaux, au iiie siècle le grand chirurgien Hua Tuo réalise des opérations sous anesthésie en utilisant le chanvre indien. Le terme chinois pour anesthésie (麻醉 : má zuì) est d'ailleurs composé de l'idéogramme qui désigne le chanvre, suivi de celui qui signifie l'ivresse.
Le cannabis serait mentionné dans la Bible, par exemple dans le livre de l'Exode, (30:22-31) l'Éternel ordonne à Moïse de fabriquer une huile sainte avec « cinq cents sicles de myrrhe, de celle qui coule d'elle-même; la moitié, soit deux cent cinquante sicles, de cinnamone aromatique, deux cent cinquante sicles de roseau aromatique ». Ce dernier ingrédient (kaneh bosm en hébreu) pourrait être le chanvre... La preuve de l'usage médicinal du cannabis au Proche-Orient a été faite en 1993 quand une équipe d'archéologues ont découvert à Beit Shemesh, entre Jérusalem et Tel-Aviv un tombeau contenant le squelette d'une jeune fille de 14 ans environ. Des pièces romaines ont permis de dater cette tombe au ive siècle de notre ère. La région pelvienne contenait le squelette d'un fœtus à terme, de taille trop importante pour permettre une délivrance par les voies naturelles. Un résidu carbonisé trouvé sur l'abdomen de la jeune fille a révélé à l'analyse spectrographique contenir du delta-6-tétrahydrocannabinol, un composant stable du cannabis. Les auteurs de la découverte ont supposé que ces cendres provenaient de la combustion de cannabis dans un récipient, administré à la jeune fille comme inhalant pour faciliter l'accouchement14.

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