Drogues: le Conseil national du sida se joint aux critiques du tout-répressif

Et si les choses se mettaient enfin à bouger? Alors que, depuis l’accession de Barack Obama à la Maison Blanche des voix s’élèvent du monde entier pour aborder la question d’une dépénalisation de l’usage de drogues qui parait de moins en moins chimérique, la France, comme souvent en ces domaines, semblait faire bande à part.

Après les vains espoirs suscités par le passage de Bernard Kouchner au ministère de la Santé (dans un gouvernement socialiste cette fois), le débat français semblait enterré sous le poids du bouillonnant ministre de l’Intérieur/président Nicolas Sarkozy. Même Libé avait, sous la plume de Laurent Joffrin, abandonné le combat qui fût le sien lorsque le quotidien lançait, en 1976 , l’Appel du 18 joint.

Mais voilà qu’à l’occasion des quarante ans d’une loi de 1970 sur les stupéfiants qui semblait aussi consensuelle que celle de 1905 sur les cultes, les choses bougent. Trois livres sont ainsi sortis coup sur coup depuis le début de l’année pour réclamer une forme ou une autre de dépénalisation. Le dernier en date, celui du maire Vert de Sevran, Stéphane Gatignon, cosigné avec un officier de Police, Serge Supersac, et qui sort ce mercredi, fait beaucoup parler de lui, j’y reviendrai dans ce blog.

Et voilà qu’une autre voix, et non des moindres, vient s’ajouter à ce début de concert: celle du Conseil national du Sida. Créé en 1989 par François Mitterrand, le CNS rassemble 24 personnalités aussi diverses qu’un rabbin, des professeurs de médecine, de politique, d’économie… sous la direction du professeur Willy Rozenbaum. Nommés par le président de la République, le Premier ministre, l’Assemblée, le Sénat… ils ont pour mission de faire des propositions au gouvernement sur tout ce qui concerne le sida.

Dans un avis sur les politiques des drogues rendu public ce mercredi, cet aréopage dénonce « des politiques répressives coûteuses, inefficaces au plan sanitaire ». Rappelant qu’à la différence de la France, où la répression des simples usagers est de plus en plus importante, plusieurs pays européens avaient depuis les années 90, choisi d’abandonner les poursuites pénales contre les simples usagers, le Conseil « questionne l’impact de la politique répressive à l’encontre des usagers simples sur la consommation des drogues illicites et sur le fonctionnement optimal des dispositifs de réduction des risques ».

Le Conseil note ainsi que « l’augmentation des mises en cause pour usage n’a permis d’entrainer ni une hausse significative du prix des produits stupéfiants, ni une baisse de la consommation de drogues illicites » mais qu’elle complique les politiques de réduction des risques qui sont seules à ce jour à avoir montré une réelle efficacité pour la santé des usagers de drogues. Et d’enfoncer le clou:

« Le Conseil national du sida s’interroge sur l’efficacité réelle des mesures répressives extrêmement coûteuses à l’encontre des usagers simples et lourdes de conséquences pour l’emploi des intéressés, inscrits dans les fichiers de police, même quand ils n’ont pas été condamnés, alors que les actions, en matière sanitaire et sociale en faveur des usagers problématiques, bien moins nombreux, restent insuffisantes. »

Dans ses conclusions, le Conseil national du sida demande donc« l’évaluation des politiques relatives aux drogues et en particulier de l’impact de l’interdiction de l’usage, de la détention, de la cession et du trafic de produits stupéfiants sur la stratégie de réduction des risques » et « invite les pouvoirs publics à examiner l’opportunité d’une reformulation de la loi en matière de stupéfiants en intégrant une analyse du traitement pénal des usagers de drogues illicites ».

Bien sûr, rien n’oblige le gouvernement à tenir compte de cet avis et il y a fort à parier qu’il ne le fera pas. Reste que cette voix vient s’ajouter à celles d’anciens présidents de la République, d’éminents chercheurs, d’anciens policiers… qui, de par le monde, demandent aux gouvernants de sortir de l’idéologie et d’accepter d’évaluer l’efficacité réelle de la prohibition des drogues. C’est visiblement déjà trop demander.

Arnaud Aubron

[Source:LesInrock]

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